Mauvais traitements, internements, expulsions : dans la lutte contre l’« islamisme », les autorités n’hésitent pas à jouer avec les limites de l’Etat de droit. Il y a dix ans, Charles Pasqua expulsait une vingtaine d’étrangers après les avoir embastillés pendant un mois dans une caserne désaffectée. Le ministre de l’intérieur les accusait d’être les « complices de terroristes » algériens, mais leur culpabilité n’a jamais été établie. Retour sur l’affaire de Folembray de l’été 1994.
Si l’expulsion d’« islamistes » était un art, le feuilleton de Folembray d’août 1994, mis en scène par Charles Pasqua, figurerait certainement parmi les chefs-d’œuvre oubliés. Avant d’être envoyées au Burkina Faso, une vingtaine de personnes sous le coup d’une « expulsion en urgence absolue » passeront un mois derrière les grilles de la caserne de gendarmerie de cette petite ville de l’Aisne, sous le regard des caméras de télévision et des objectifs des photographes.
Tout commence le 3 août, avec l’assassinat de cinq Français à Alger, qui plonge la France dans la « seconde guerre d’Algérie ». Profitant des circonstances, M. Pasqua, ministre de l’intérieur depuis 1993, engage une politique à grand spectacle articulant lutte contre l’islamisme et gestion sécuritaire de l’immigration. Outre l’interdiction de quelques publications islamistes et l’expulsion d’un imam turc immédiatement arrêté par les autorités d’Ankara, il lance une opération de contrôle d’identité sans précédent dans les « quartiers sensibles » (27 000 vérifications en deux semaines) et réquisitionne la caserne désaffectée de Folembray, dans l’Aisne [1], où il transfère quelques « islamistes » algériens résidant en France en situation régulière.
A l’époque, le gouvernement de Edouard Balladur est divisé sur l’Algérie. A l’instar des Etats-Unis et de plusieurs pays européens qui se montrent plutôt accommodants avec le Front islamique du salut (FIS), privé de sa victoire électorale en 1992, Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, souhaite une prise de distance avec un pouvoir algérien bien peu démocratique et l’instauration d’un dialogue dans lequel ceux que l’on commence à appeler les « islamistes modérés » pourraient avoir leur place. Pour M. Pasqua, au contraire, l’« islamisme modéré » est une « fumisterie » : il y a d’un côté les « modérés » et de l’autre les « islamistes », avec lesquels aucun dialogue n’est possible (Europe 1, 4 août).
Invité sur TF1 et sur France 2, il accuse les internés de Folembray d’être les « complices de terroristes » et tance les journalistes qui leur donnent quelques secondes de parole.« Vous ne croyez pas que vous en avez déjà assez fait ?, déclare-t-il sur France 2, le 5 août. Nous avons affaire à des gens qui sont les complices de terroristes et d’assassins !n’ont pas respecté les règles élémentaires de l’hospitalité. Ils ont l’air d’être mécontents d’être chez nous ? Mais qu’ils s’en aillent ! »
En réalité, l’impertinence des médias reste limitée. Les JT, qui brodent sur le thème du « péril islamiste », ne contredisent en rien la ligne politique du ministre. L’aplomb de M. Pasqua suffit à convaincre les rédactions de la dangerosité des « intégristes » de Folembray. Sans préciser la nature de leur « complicité », le ministre se contente de dire que « la France est un Etat de droit. Il ne suffit pas de soupçonner pour pouvoir interpeller, ou assigner à résidence, ou expulser : il faut avoir des preuves. Quand nous les avons, nous intervenons » (TF1, 4 août).
« Qu’on en finisse avec eux ! »
Source : Les mots sont importants