La xénophobie d’Etat a temporairement isolé le pouvoir français, même dans l’Union européenne. L’extrême droite applaudit au fond, mais réclame « davantage d’actions que de paroles »… Amplifions les résistances !
Les chiffres sont sans appel : pas moins de 66 % des Françaises et Français, interrogés par l’institut BVA, pensent que les positions du gouvernement de droite « se rapprochent » aujourd’hui de celles du Front national. C’est l’enseignement le plus frappant d’un sondage, dont les résultats ont été rendus publics le 23 septembre dernier. La droite, en effet, se radicalise idéologiquement : après le « débat sur l’identité nationale » de l’hiver 2009/2010, maintenant la surenchère nouvelle contre certaines minorités (Roms et « Gens du voyage ») et l’offensive démagogique sécuritaire de l’été 2010.
Le constat d’un « rapprochement » entre cette droite qui se durcit et l’extrême droite, en embuscade, va de pair avec une certaine tendance à la banalisation – de fait – du FN. Ainsi, selon ce même sondage, 42 % des personnes interrogées jugeraient que le FN est « un parti comme un autre » (un chiffre en forte hausse), même si 57 % défendent toujours l’avis contraire. Certes, cette apparente « normalisation » du parti d’extrême droite n’est pas – en bonne partie – le fruit d’une volonté de voir le FN davantage intégré au jeu politique institutionnel. 81 % des interrogés refusent ainsi, encore et toujours, l’entrée de « personnalités du FN » dans un gouvernement. La tendance à avoir une vision banalisée du FN est plutôt le produit de l’observation, que la droite UMP elle-même va désormais très loin dans l’adoption de politiques autoritaires, xénophobes, racistes.
Quant à nous, nous considérons qu’il est toutefois impératif d’affirmer et réaffirmer que l’extrême droite, à héritage fasciste (héritage qu’elle actualise et remet aux couleurs d’aujourd’hui en permanence), n’est pas et ne sera jamais une force politique « comme les autres ». D’autant plus, à l’heure où l’un des deux candidats à la présidence du FN – Bruno Gollnisch – a pour « coordinateur de campagne » un certain Yvan Benedetti… le même qui s’était fait remarquer en juin 2010 en louant le célèbre faux antisémite des « Protocoles des Sages de Sion » (qui avait inspiré les idéologues du nazisme historique) comme « un document prémonitoire ». Même si sa rivale Marine Le Pen poursuit une autre stratégie - considérant toute référence ouverte au fascisme historique, au nazisme, à l’antisémitisme explicite comme une perte de temps (l’avenir ne se conquérant pas avec les recettes du passé) -, on voit bien qu’il n’existe aucune vraie rupture entre le FN et les pires phénomènes politiques du 20e siècle. Marine Le Pen n’a d’ailleurs jamais condamné idéologiquement son rival et ses soutiens, affirmant même qu’elle ferait volontiers de Gollnisch son vice-président, en cas de victoire (offre rejetée par celui-ci) ; et voit une différence simplement dans le fait qu’elle « veut prendre le pouvoir ». Alors que Gollnisch se contenterait, selon elle, d’être « une autorité morale » au lieu d’être « un général » capable de galvaniser ses troupes.
Aucune indulgence ni aucune banalisation pour l’extrême droite sous forme du FN, donc. Cela n’empêche que le mal du racisme, de la xénophobie, de l’autoritarisme – loin d’appartenir uniquement au seul FN – peut parfaitement être porté et diffusé par d’autres. Notamment par la droite sarkozyste, au pouvoir. Ce mal, s’il n’est pas combattu (avec succès) et obligé de reculer, ronge la société. Et son avancée risque de conduire à des maux toujours plus grands et plus importants. « Surenchère sécuritaire : L’extrême droite veut récolter ce que sème Monsieur Sarkozy », tel avait été le titre à la « Une » du journal « Le Monde » daté du 15 août 2010.
Avant de publier ce numéro, le quotidien du soir avait interrogé une dizaine de secrétaires départementaux du FN sur leur vision de l’offensive idéologique « sécuritaire » de juillet/août 2010. Tous, ils défendaient l’opinion que celle-ci n’allait finalement profiter qu’à leur propre parti, dont les thèses se verraient ainsi officiellement validées, normalisées. Alors que Nicolas Sarkozy – selon eux – « fait tomber les tabous » et « brise la glace » en faveur des thèses du FN, il ne pourra (toujours selon eux) jamais vraiment appliquer la « bonne » politique. Parce qu’il y a l’Europe, parce qu’il existe des garanties juridiques, parce qu’il y a des conventions sur les droits de l’homme auxquelles la France est liée… (Alors que le FN – semblent-ils dire du même mouvement – piétinerait allègrement tout ça, une fois au pouvoir, bien entendu.)
En attendant, même si elle ne va jamais « assez loin » aux yeux du FN (ou en tout cas suivant sa rhétorique), la politique de Nicolas Sarkozy a récemment suscité des critiques. Pendant quelques semaines, l’affaire a même pris les allures d’une mini-crise internationale, quoiqu’elle ait été plutôt de l’ordre du symbolique. Il faudrait remonter à la guerre d’Algérie ou, au moins, aux essais nucléaires de Muroroa pour retrouver – dans l’Histoire récente – des critiques aussi virulentes contre la politique française, prononcées dans des enceintes internationales.
Relatif mais réel isolement international
Le pape et Fidel Castro, la Commission européenne de Bruxelles et le Conseil de l’Europe : de nombreuses voix, sur le plan international tout autant que sur le plan intérieur français, ont critiqué la politique officielle de la France, ces dernières semaines.
La tonalité des critiques pouvait, certes, fortement varier. Si Benoît XVI a préféré s’exprimer de façon très cryptée, demandant au gouvernement français de savoir « accueillir l’humanité dans sa diversité » sans être plus explicite, Fidel Castro a – au contraire - défrayé la chronique par une déclaration en tape-à-l’œil (parlant d’un « nouvel Holocauste racial », terminologie vraiment inappropriée). L’archevêque de Toulouse a donné lecture, devant 4.000 pèlerins à Lourdes, d’une lettre de son prédécesseur datant de 1942, mettant l’accent sur le passage : « Ils font partie de l’humanité ». Dans l’original, il était question des juifs persécutés, mais l’ecclésiastique évoquait les Roms en 2010. Il a néanmoins précisé qu’il ne voulait pas mettre sur un plan d’égalité, le sort des juifs pendant la Seconde guerre mondiale (déportés pour être poussés dans des chambres à gaz à l’arrivée) et des Roms d’aujourd’hui (déportés mais non pas assassinés).
La politique française fut notamment critiquée parce qu’elle renvoie massivement des Roms (surtout) vers la Roumanie et la Bulgarie, et démantèle les campements de fortune où il s’étaient installés ; toutes ces mesures étant accompagnés d’un discours guerrier qui évoque une « guerre nationale contre la délinquance » et qui ethnicise la prétendue « insécurité ».
Insécurité qui est, certes, réellement ressentie par une partie non négligeable des Françaises et Français ; mais dont le pouvoir omet totalement de nous dire que l’angoisse ayant (surtout) des causes sociales et économiques, la peur de l’avenir qu’elle engendre, l’absence de solidarité ressentie par de nombreux habitants de ce pays en sont les facteurs majeurs. Selon la propagande du pouvoir, au contraire, l’ordre dominant n’est pas à remettre en cause ni même à discuter, mais les Français devraient avoir peur des personnes à origine douteuse… qu’ils devraient soupçonner de poursuivre des intentions troubles contre le brave peuple autochtone.
Logique d’ethnicisation
Cette campagne a d’ailleurs pris des allures de véritable punition collective à l’encontre d’un groupe « ethnique » : elle a démarré après les événements de Saint-Aignan, village dans la région Centre où - le 18 juillet 2010 - de violents incidents avaient opposé des « Gens du voyage » à la gendarmerie nationale. Ils avaient été déclenchés par la mort d’un jeune du groupe, Luigi Duquenet, âgé de 21 ans, tué par un gendarme l’avant-veille. Les forces de l’ordre ont prétendu avoir agi en « légitime défense », puisqu’une voiture aurait tenté de forcer un barrage dressé par la gendarmerie. Cependant la thèse de la « légitime défense » a pris l’eau, et les autorités judicaires ne semblent plus y accorder beaucoup de crédit ; puisqu’elles ont annoncé début septembre que le gendarme - auteur des coups mortels - sera bientôt mis en examen.
Suite aux dégradations causées par un groupe de « Gens de voyage » en réaction à cette mort violente, Nicolas Sarkozy avait convoqué un « sommet » à l’Elysée qui a eu lieu le 28 juillet dernier. C’est là qu’il a annoncé des mesures frappant à la fois les « Gens du voyage » (sous forme de démantèlement de campements illicites, alors qu’entre 50 % et 75 % des communes ne respectent pas aujourd’hui l’obligation de proposer des aires de stationnement légales, créée par la Loi Besson en 2000) et les Roms ; le tout au nom de la lutte contre la délinquance et l’insécurité. Or, ces deux groupes n’ont quasiment rien à voir entre eux, si l’on excepte des lointaines origines communes et certains éléments culturels. Les « Gens du voyage » sont issus d’un groupe d’origine tzigane (auquel se sont ajoutés au fil du temps de nombreux commerçants itinérants, ne partageant pas les mêmes origines) installé en France depuis le 15e siècle. Les Roms, venant du Sud-Est de l’Europe et notamment de la Roumanie et la Bulgarie - ainsi que des pays de l’ancienne Yougoslavie - depuis une vingtaine d’années, sont, en revanche, des immigrés nouveaux qui fuient la misère et les lourdes discriminations dans leur pays d’origine. Le seul dénominateur commun entre ces deux groupes est une (prétendue) appartenance « ethnique ». Une vision bien « raciale » de la société, que celle qui les mélange… dans une même série d’annonces de mesures sécuritaires !
Le, tristement célèbre, discours de Grenoble
Ce catalogue d’annonces, publiées sur un ton vengeur et guerrier, a été doublé par le désormais fameux « discours de Grenoble » prononcée par Nicolas Sarkozy à Grenoble, le 30 juillet dernier. Au centre de ce discours, est placé le nœud liant prétendument les problématiques de la délinquance, de l’immigration ainsi que celle de l’acquisition de la nationalité française par des ressortissants étrangers. « 50 ans d’immigration insuffisamment régulée », déclara Nicolas Sarkozy, auraient engendré criminalité et « insécurité ». La mesure-phare du discours étant la déchéance de la nationalité française pour certains délinquants français « d’origine étrangère » (ce dernier terme étant extrêmement vague et juridiquement insignifiant) ; en l’occurrence, la mesure doit frapper les individus ayant tué ou tenté de tuer une « personne dépositaire de l’autorité publique ». Soit un policier, un gendarme, un militaire ou encore une enseignante, une conductrice de bus ou une avocate, suivant la liste annoncée.
Dans la version juridique qui sera finalement proposée au vote du parlement – courant octobre 2010, la mesure ayant été intégrée à la future « loi Besson » sur l’immigration comportant d’autres durcissements de la législation -, cette proposition est concrétisée. La déchéance de nationalité concernera ainsi toute personne ayant acquis la nationalité française depuis dix ans au maximum, et qui a commis un tel acte. (Jusqu’ici, la déchéance de nationalité était possible pour les individus naturalisés depuis dix ans au maximum, condamnés pour « actes terroristes » ou « haute trahison ». Il s’agira ainsi d’étendre ce mécanisme à d’autres catégories de personnes. Dans sa forme actuelle, la disposition a jusqu’ici concerné peu de monde dans la pratique. Il y a eu une trentaine de cas depuis 25 ans, et aucun depuis 2006.)
Par la suite, le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux avait proposé, courant août 2010, d’étendre (encore) ce mécanisme du retrait de la nationalité française à toute une série d’autres catégories de personnes ; dont les Français d’origine étrangère vivant dans une situation de « polygamie de fait ». Autrement dit, des hommes n’étant pas mariés avec plus d’une femme, mais vivant « de fait » ensemble avec plusieurs personnes dans une situation quasi-matrimoniale. Le souci étant, bien entendu, que soit cette situation - qui relève par définition de la sphère intime - est le plus souvent totalement improuvable ; soit exige, pour être démontrée, une immixtion des pouvoirs publics dans la sphère privée qui est elle-même intolérable.
Selon « Le Monde » daté du 07 août 2010, « un intellectuel proche du président » - il s’agit probablement de l’un de ses conseillers – aurait jugé ces annonces comme suit : « La déchéance de la nationalité, ça va marcher à fond. Même Le Pen n’est jamais allé aussi loin. » Cette dernière phrase est partiellement vraie. Le FN, quant à lui, avait demandé dans son programme électoral 2007 la déchéance de la nationalité française pour tout Français ayant acquis la nationalité depuis dix ans au maximum, définitivement condamné à au moins six mois de prison ferme. Les propositions du ministre de l’Intérieur allaient au-delà de cette idée, dans leur partie applicable aux « polygames de fait », puisque cette situation n’implique pas nécessairement une condamnation à la prison.
Par la suite (et alors que l’opposition parlementaire parlait de « dérive anti-républicaine »), même le ministre « de l’immigration et de l’identité nationale » en exercice - Eric Besson, - a déclaré que cette proposition allait trop loin. Elle le faisait aussi craindre, probablement, que l’on ajoute aux lois existantes des « effets d’annonce »… qui s’avéreront inapplicables devant les juges, offrant ainsi la possibilité à l’extrême droite de crier à la tromperie et de revendiquer encore « des actes ». L’annonce de Brice Hortefeux a dû être finalement retirée. Lors d’une réunion d’arbitrage qui a eu lieu le 06 septembre, Sarkozy a donné raison à Besson contre Hortefeux. La mesure, telle qu’elle sera votée au parlement courant octobre, concernera uniquement les personnes ayant porté atteinte à la vie « d’une personne dépositaire de l’autorité publique ».
Au-delà de la future disposition législative, qui concernera dans la pratique (a priori) très peu de personnes, c’est le « lien » ainsi créé entre délinquance, immigration et nationalité qui est au cœur du problème politique. Le professeur de droit Guy Carcassonne a bien déclaré, au mois d’août dans le journal « Le Parisien », que la proposition de déchéance de nationalité n’avait pas vraiment de nature juridique, mais était « un tract politique ». C’est le message ainsi transporté qui compte, bien davantage que l’application réelle de la mesure.
Critiques internationales
Ce sont les renvois massifs de Roms, vers la Roumanie et la Bulgarie, qui a suscité le plus de réactions internationales. En attendant, la politique française prévoit dores et déjà d’élargir les mécanismes légaux permettant d’expulser des ressortissants de pays de l’Union européenne. La future « Loi Besson » sur l’immigration, censée être adoptée courant octobre 2010, s’est vu ajouter des dispositions permettant d’expulser des ressortissants européens en cas de « charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale » ou d’ « abus de court séjour ». Ce dernier terme se réfère aux multiples aller-retour, permettant de se maintenir sur le territoire français pour une durée respective qui - à chaque fois - ne dépasse pas les trois mois. Tout ressortissant européen bénéficie d’une garantie juridique de pouvoir séjourner dans un autre Etat-membre, pour une durée maximale de trois mois. Au-delà de cette durée, il ou elle doit justifier soit d’un emploi, soit d’un statut d’étudiant. Au-delà de cette durée de trois mois, la ressortissante d’un pays de l’UE n’étant ni salariée ni étudiante est considérée comme se trouvant « en situation irrégulière » ; cependant, l’expulsion d’un citoyen ou d’une citoyenne d’un pays de l’Union n’est juridiquement possible, jusqu’ici, qu’en cas d’atteinte à l’ordre public. Certains des Roms multiplient ainsi les courts séjours, pour ne jamais dépasser les trois mois. C’est ce comportement que la droite au pouvoir veut, désormais, punir en créant la possibilité juridique d’expulser les intéressés ; tout en empêchant leur retour, leurs empreintes digitales étant enregistrées à partir du 1er octobre 2010 dans un fichier baptisé « OSCAR ».
S’agissant de rapatriements forcés de citoyens de l’Union européenne, qui en plus s’effectuent essentiellement sur la base de leur appartenance « ethnique », ces agissements (actuels et futurs) du pouvoir français a rencontré de nombreuses critiques.
La Commission pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) des Nations Unies, dans un avis rendu public le 27 août, et le Parlement européen - dans un vote du 09 septembre dernier - ont demandé à Paris de stopper ces expulsions. Le gouvernement turc a par ailleurs, le 15 septembre dernier, donné raison aux critiques exprimées par les instances de l’Union européenne à l’égard de la France. Tout comme l’administration états-unienne de Barack Obama ou encore une partie de la presse américaine, le « New York Times » ayant accusé (dans son numéro 05 août dernier) Nicolas Sarkozy de « xénophobie », de chasse au « Un-french » (au non-français) et de « calcul électoraliste à court terme ».
Maintenant, les autorités françaises ont prévu de se lancer dans un « intense travail d’explication » de leur politique, surtout vis-à-vis des Etats-Unis et des organisations non gouvernementales (ONG). Ainsi l’a rapporté l’Agence France Presse, le 26 septembre dernier.
La campagne contre les Roms doublée de celle contre les « Gens de voyage » - ces derniers étant des citoyens français, alors que les premiers sont (pour la plupart d’entre eux) des ressortissants de l’Union européenne -, avait été déclenchée fin juillet 2010 pour des raisons de politique intérieure française. Il s’agissait entre autres d’allumer un contre-feu contre les conséquences de l’affaire Woerth-Bettencourt pour le gouvernement, et de contrer le mécontentement social grandissant vis-à-vis du recul social en matière de retraites. Aussi a-t-il été clairement affirmé, par exemple par Nicolas Sarkozy cité par le « Canard enchaîné » du 15 septembre, qu’il s’agissait de disputer des électeurs au FN. Mais même si la campagne politique - dont les Roms deviennent les victimes - a été lancée pour des raisons de tactique politique française, elle a pris maintenant des allures de crise internationale.
La Commission de Bruxelles - exécutif de l’Union européenne - a annoncé son intention de lancer une procédure contre la France pour infraction au droit communautaire. Au cas où la France officielle persiste dans sa politique inhumaine à l’égard de cette minorité, discriminée et/ou chassée presque partout en Europe, la Commission demandera à la Cour de justice européenne (CJCE) de condamner l’attitude de Paris. La commissaire européenne Viviane Reding avait publiquement qualifié la politique française de « honte ». Quand Nicolas Sarkozy lui demande en réponse, rapportée par des sénateurs, mercredi 15 septembre, d’accueillir les Roms dans son pays d’origine - le Luxembourg -, il adopte la même logique qu’un représentant de l’extrême droite française, Bruno Gollnisch. Ce dernier avait, le 25 août 2010, exhorté le pape Benoît XVI à recevoir lui-même les Roms « au Vatican » pour les y installer. (Dans un parti qui compte de nombreux ultra-catholiques, cette attaque ne lui avait d’ailleurs pas apporté que des applaudissements… mais aussi suscité quelques critiques, puisqu’elle visait le pape.)
Rhétorique guerrière
Par la suite, un sénateur français appartenant à l’UMP – Philippe Marini – s’est même mis à rêver, le 18 septembre dernier sur Radio France Culture, que le Luxembourg soit rayé de la carte. Le sénateur imaginait ainsi, à voix haute, un entretien « entre Napoléon III et Bismarck », en 1867, où les frontières auraient été fixées de la sorte que le Luxembourg n’existe pas en tant que pays. Ajoutant qu’il préférerait, lui, une telle hypothèse de non-existence du Luxembourg. Jean Asselborn, ministre des Affaires étrangères de ce pays, compara l’homme politique français rêvant de faire disparaître un pays… à Adolf Hitler et Mahmoud Ahmedinedjdad (faisant allusion à ses propos sur Israël). Les députés du Luxembourg ont, le 21 septembre, officiellement exigé des excuses de la part du sénateur. De telles excuses de Philippe Marini n’ont pas été rapportées (en tout cas dans les médias français), mais dès le 20 septembre le premier ministre François Fillon s’était vu contraint de s’excuser lui-même au nom de la France. ..
Soyons heureux, pour tout le moins, que la politique européenne en 2010 ne fonctionne pas tout à la fait de la même manière que celle de l’année 1910. Sinon, le continent serait probablement déjà au bord d’un conflit. Si on ajoute à l’anecdote sur le Luxembourg, la tentative de Nicolas Sarkozy de faire dire à la chancelière allemande ce qu’elle n’avait apparemment pas dit (il prétendait, le 16 septembre au Sommet européen de Bruxelles, qu’Angela Merkel lui aurait dit qu’elle voulait imiter sa politique sur les Roms… aussitôt sèchement démenti par le gouvernement allemand), les motifs d’une guerre entre nations rivales ne manqueraient pas. Au 19e ou encore au début du 20e siècle, ça aurait pu suffire pour déclencher de grosses étincelles.
Aujourd’hui, il s’agit toujours de l’expression d’une politique de la violence. Heureusement celle-ci reste, en tout cas entre pays situés au coeur de l’Europe, de l’ordre du symbolique…
Affrontement européen
Certes, les gouvernements des autres nations européennes ne sont pas tous des brillants exemples d’antiracisme. Loin de là. Si la politique de Nicolas Sarkozy vis-à-vis des Roms a été presqu’unanimement critiquée lors du sommet européen du 16 septembre (seul Silvio Berlusconi, soutenu sur ce point par ses alliés racistes et d’extrême droite de la « Ligue du Nord », volait ouvertement à son secours), cela exprime – dans certains cas – aussi des égoïsmes nationaux. Les pays de l’Europe du Sud-Est, par exemple, se montrent hostile aux retours massifs des Roms.. puisqu’ils ne souhaitent bien souvent, eux-mêmes, pas les voir se réinstaller sur leur territoire. Rappelons que l’émigration des Roms est aussi une conséquence des discriminations et de la misère extrêmes qui les frappent dans ces pays.
D’autres pays européens, aussi, considèrent cette minorité plutôt comme « une charge », mais ne souhaitent pas voir que la France sarkozyste « s’en débarrasse » unilatéralement « au détriment » des autres. Il est vrai que des représentants de la droite française avaient été d’une franchise brutale ; Eric Raoult (député sarkozyste du Raincy), par exemple, affirmant clairement qu’il « préfère voir les Roms aller en Espagne ou en Italie » plutôt qu’en France. Cela ne devrait pas trop plaire aux gouvernements de ces pays voisins ; même si Silvio Berlusconi ne s’en offusque pas, prévoyant lui-même des renvois plus qu’expéditifs de membres de cette minorité. D’autres gouvernements, par contre – quelque peu plus modérés sur ce point – considèrent plutôt que, comme on ne peut pas faire disparaître les Roms, il vaudrait mieux que chaque pays d’ l’Union européenne prenne en charge une partie de « leur intégration », plutôt que de se les refouler sans cesse.
Quant aux institutions européennes, la colère de certain/e/s de leurs représentants – à l’instar de Viviane Reding – est réelle et non feinte. Dès lors que l’on prend au sérieux les principes fondamentaux de la construction européenne, la politique de Sarkozy (ou encore Berlusconi) apparaît clairement en rupture, sur des points centraux.
Après la Seconde guerre mondiale, l’intégration des pays européennes (de l’Ouest) avait commencé à partir des années 1950, au nom d’une promesse de paix entre pays du continent. Certes, cette idée de paix a toujours été très relative, et au service de politiques qui n’étaient pas tout à fait pacifistes : il s’agissait, à la fois, d’amorcer « le choc de la décolonisation » (plusieurs pays européens étant encore des puissances coloniales, qui ne pouvaient plus supporter aussi facilement seuls le coût du maintien de leur domination) et d’endiguer « la menace communiste » à l’Est. Néanmoins, des élites politiques et une partie de la société ont été élevées – pendant deux générations – sous le signe d’une « idée européenne » présentée comme l’antithèse des nationalismes guerriers d’autrefois.
Deuxièmement, la construction européenne a été créée essentiellement autour d’un marché (« commun » puis « unique »), et non pas autour d’un programme politique et social. L’intégration devait se faire par l’économie – capitaliste -, non pas à travers un débat politique portant sur des choix de société. Cependant, pour qu’un marché transnational ou supranational (sur lequel devraient pouvoir librement circuler capitaux, marchandises et main-d’œuvre) puisse fonctionner, il fallait au moins qu’il ne puisse y avoir discrimination entre acteurs économiques « en raison de la nationalité ». C’est ainsi que le droit communautaire européen a développé, au fil des décennies, tout un dispositif juridique de lutte contre les discriminations : d’abord en raison de la nationalité, puis étendu à la discrimination en raison du genre, des origines… S’il existe (pour l’essentiel depuis 2001) une législation anti-discrimination en France, elle est surtout un décalque des législations européennes transposées en droit français.
Le principe de la libre circulation (y compris celle des hommes et des femmes à la recherche d’un travail), et celui de la non-discrimination – notamment en raison de la nationalité, mais aussi de l’appartenance « ethnique » - sont ainsi des points centraux de la « construction européenne ». Au moins en théorie, même si nous savons que sur le plan des discriminations racistes contre les personnes d’origine non-européenne, la pratique en est encore éloignée. (La libre circulation des ressortissants de pays non-européens, n’en parlons même pas : l’Union est en train de se doter des dispositifs destinées à refouler de la façon la plus efficace possible, les migrants extra-communautaires « indésirables »…)
La politique de Nicolas Sarkozy viole ouvertement ces deux principes du droit européen, pour au moins deux raisons. D’un côté, des ressortissants européens sont clairement ciblés ; et ceci, en plus, en raison de leur appartenance à un groupe ethnique : la minorité des Roms. (Le gouvernement allemand, ici, se débrouille mieux vis-à-vis du droit communautaire. Lui aussi souhaite renvoyer des milliers de Roms, mais de façon plus discrète après un accord avec le nouveau pouvoir du Kosovo devenu indépendant. Or, le Kosovo n’appartient pas à l’Union européenne – la Roumanie et la Bulgarie, pays de renvois de Roms depuis la France, par contre, en sont membres…)
De l’autre côté, les personnes concernées font l’objet de renvois collectifs, qui sont contraires au droit international (qui ne tolère que les expulsions individuelles, après examen juridique de chaque cas) et considérés par les instances européennes comme dépourvus des garanties judiciaires minimales nécessaires.
Néanmoins, soucieuse d’éviter l’escalade du conflit après les engueulades du Sommet européen (du 16 septembre), la Commission européenne a baissé d’un cran, désormais, les reproches qu’elle adresse officiellement à la France sarkozyste. Si elle souhaite toujours la poursuivre pour infraction aux traités européens, le motif de poursuite a été changé. Avant le 16 septembre, la Commission de Bruxelles avait voulu poursuivre la France pour « discrimination raciale », reproche très grave. Dorénavant, elle ne poursuivra la France (aux côtés de plusieurs autres pays-membres de l’UE) plus que pour « mauvaise transposition des directives européennes sur la libre circulation » des ressortissants de l’Union. Le reproche avait été très politique ; il est devenu – au moins en apparence – assez technique.
"retours volontaires" et circulaires
La position française officielle consiste à alléguer que les renvois vers la Roumanie et la Bulgarie seraient « des retours volontaires ». Un argument qui ne résiste pas une minute à l’examen. Quand des individus voient la police envahir les lieux où ils habitent dans des campements de fortune - faute de propositions de logement décentes - et détruire tout ce qu’ils possèdent par des bulldozers, au cas où ils ne se plient pas à un retour soi-disant « volontaire », le prétendu volontariat est bien théorique. Quand on distribue aux intéressés des OQTF (Obligations de quitter le territoire français) - des titres juridiques permettant l’éloignement forcé de la personne du territoire national, si elle s’y maintient au-delà d’un mois -, même cette fiction théorique n’est d’ailleurs plus maintenue.
La politique française vient de livrer un triste spectacle concernant la circulaire du ministère de l’Intérieur du 05 août dernier, qui vient d’être remplacée par une autre du 13 septembre 2010. A l’évidence, celle qui avait été adoptée « au cœur de l’été » était ouvertement discriminatoire, dans la mesure où elle demandait aux forces de police de cibler « surtout » l’habitat - plus que précaire - « des Roms » pour en chasser les habitants. Les mesures demandées aux forces de l’ordre ciblaient de façon univoque un groupe défini par ses origines ethniques, ce qui est contraire aux principes du droit français et européen. Les affirmations du ministre de l’immigration, Eric Besson, qui prétend ne pas avoir été « au courant » - alors qu’un membre de son cabinet était convoqué aux réunions préalables - sont pathétiques.
La nouvelle circulaire - adoptée en urgence alors que plusieurs associations et ONG avaient annoncé des recours en Justice pour demander l’annulation du texte daté du 05 août - ne porte plus la mention du groupe ethnique en question. Cependant, si l’emballage change et si les nouvelles formules prêtent moins le flanc aux attaques judicaires, les objectifs restent identiques. Nicolas Sarkozy, cité par le « Canard enchaîné » (du 15 septembre), a résumé parfaitement l’état d’esprit : « Ce n’est pas le fond de la circulaire qui est en cause, mais la forme : il aurait fallu la rédiger autrement. »
Perspectives
Pour tous les démocrates, les humanistes et antiracistes, au contraire, c’est bien entendu le fond de cette politique qui pose un problème grave. La protestation dans la société française doit venir se conjuguer avec la pression internationale, afin de faire reculer cette politique ouvertement discriminatoire.
Nous étions environ 150.000 à manifester contre la xénophobie d’Etat et la démagogie sécuritaire, le 04 septembre dernier ; dans 150 villes françaises, petites et grandes. L’opposition à cette politique fut également présente dans les cortèges des syndicats et du mouvement social, ces dernières semaines. Le 23 septembre, à Paris, dans le défilé contre la « réforme » des retraites, on pouvait ainsi voir une très grande pancarte sur laquelle fut écrit : « Nous sommes tous des Roms ! » Aujourd’hui et demain, il faut aller plus loin dans la mobilisation. La défense des victimes de la xénophobie d’Etat, élargie aussi à l’opposition contre la future « Loi Besson » sur l’immigration – contre laquelle des manifestations sont prévues le 16 octobre prochain -, doit se conjuguer avec les mobilisations contre les reculs sociaux en matière de retraites. Des convergences entre ces luttes sont plus que nécessaires. La politique du pouvoir sarkozyste doit être défaite sur ses deux volets.
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